Alain Juppé, ancien ministre des Affaires étrangères à l'époque du génocide au Rwanda en 1994, a appelé samedi François Hollande «à défendre l'honneur de la France», face à ce qu'il qualifie d'''inacceptable mise en cause de la France» par le président rwandais Paul Kagame dans un article à paraître dans «Jeune Afrique».

«Il serait aujourd'hui intolérable que nous soyons désignés comme les principaux coupables. J'appelle le Président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l'honneur de la France, l'honneur de son Armée, l'honneur de ses diplomates», a écrit Alain Juppé dans un article publié samedi soir sur son blog.

L'ex-chef de la diplomatie dit comprendre la «realpolitik», et la «prudence de ligne diplomatique» que suit la France avec le Rwanda. Mais cela ne doit pas se faire, estime-t-il, «au prix de la falsification de l'histoire qui ne cesse de se propager à l'encontre de la France, de ses dirigeants politiques, de ses diplomates et de son Armée».

Alain Juppé réagissait à une interview du président Kagame, qui dans Jeune Afrique «accuse notre pays d'avoir organisé et encouragé le génocide, d'en avoir été complice et même acteur», selon M. Juppé.

«Il est rigoureusement faux que la France ait aidé en quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait», écrit-il rappelant qu'au contraire, Paris «a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps», Hutu et Tutsi, avant la prise de fonction en mars 1993 du gouvernement Balladur où il servait, comme après.

«Il est rigoureusement faux que la France n'ait pas dénoncé le déclenchement du génocide en le qualifiant en ces termes mêmes», ajoute-t-il, citant ses déclarations publiques en ce sens, en mai 1994, au conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union Européenne comme à l'Assemblée Nationale.

«La communauté internationale a failli, c'est un fait. Elle a été incapable de prévenir et d'arrêter le génocide», admet Alain Juppé. «Mais la communauté internationale, ce n'est pas la France seule», et «la France a été la seule puissance à agir», affirme-t-il.

«Sans doute subsiste-t-il encore des zones d'ombre sur cette période tragique», convient-il, notant que malgré les investigations «de l'ONU, de la justice française, de la justice espagnole, on ne sait toujours pas qui sont les auteurs de l'attentat contre l'avion qui transportait le Président (rwandais) Habyarimana et le Président du Burundi le 6 avril 1994», déclencheur des massacres.

«En attendant que vienne la vérité, on ne peut tolérer la véritable entreprise de falsification historique qui veut faire porter à la France la culpabilité du génocide», écrit-il.

Alain Juppé en tant que chef de la diplomatie de 1993 à 1995, a été a plusieurs reprises depuis interpellé sur le rôle de la France à l'époque du génocide rwandais.

Vendredi encore, il avait défendu son rôle et la position de la France en 1994, dans une réponse écrite à un collectif de citoyens, écrivains, intellectuels, qui dans une lettre ouverte pour le 20e anniversaire du génocide, l'avait questionné sur son rôle.

Reprenant les points développés dans son blog samedi, Alain Juppé avait aussi souligné que la France avait en 1994, «face à l'inaction internationale», lancé au Rwanda l'opération Turquoise, qui avait permis de «sauver des centaines de milliers de vie».

Les «accusations portées contre notre Armée (...) sont tout simplement honteuses», réaffirme-t-il samedi.

Au passage, Alain Juppé relève qu'il était la «cible unique» de la lettre ouverte publiée cette semaine.

«Comme si, à la date des faits, il n'y avait pas eu un Président de la République, et, successivement, deux Premiers ministres, deux ministres des Affaires étrangères et deux ministres de la Défense», remarque l'ancien ministre, en distillant une référence à la politique intérieure actuelle: «Je m'attendais à ce que la +Juppémania+ ambiante déclenche les coups bas», écrit-il.