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LE PLUS. Zita Naramé a passé 40 ans à l'ONU, et ce qu'elle en a vu n'est pas glorieux : des top managers qui sont pour la plupart des escrocs, des agents humiliés, harcelés, mis au placard s'ils dénoncent des fraudes... L'organisation, qui se bat pour maintenir la paix dans le monde, devrait faire attention à ce qui se passe entre ses murs, si l'on en croit le récit de son expérience édifiante.
Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec
Discours de Mahmoud Ahmadinejad à l'ONU, à New York, le 24 septembre 2012 (SIPA)
Discrimination raciale, harcèlement moral, sexisme, escroqueries… sont des pratiques courantes, voire banales, rarement évoquées au sein du système des Nations Unies. Moi qui en ai été victime, j'ai souhaité le dénoncer.
Je n'avais pas 20 ans, lorsque je fus confrontée au sexisme pour la première fois. En avril 1973, fuyant la menace d'un troisième génocide des Tutsi rwandais, je venais de trouver refuge à Goma, au Congo.
Le vieux président du tribunal de Grande instance recrutait. Après une épreuve de dactylo réussie avec brio, il rejeta ma candidature… parce que je repoussais ses avances !
Une désillusion rapide
Recrutée par l'ONU en 1974, mon idéal des valeurs morales, d'éthique et d'intégrité s'est fracassé en 1979, lorsqu'Hugo LaCanne* prit la direction du projet de l'agence pour l'alimentation qui m'employait.
Harceleur et escroc, recherché par Interpol pour rapt d'enfant, il régnait par la terreur et l'intimidation. Responsable des comptes, je devins sa cible en pointant ses dépenses personnelles incompatibles avec les règles comptables.
En représailles, il me dénia l'accès au coffre et confia mes tâches à mon assistant. L'acharnement s'avéra si dévastateur que je fus hospitalisée. Alertée sur son escroquerie et une gouvernance désastreuse, l'ONU dépêcha une mission d'enquête qui conclut à son licenciement.
Le médecin qui m'a soignée et les enquêteurs ont évoqué le harcèlement, le sexisme et un comportement indigne envers la seule femme qui évoluait au sein d'une équipe masculine.
Mes congés de maternité ? On a voulu m'en priver
J'étais en poste à Kinshasa en 1982, lorsque Paul Carré* fut nommé à la tête du bureau du CEPAS, une agence des Nations Unies basée à Paris.
Escroc compulsif – même ses frais de bouche étaient comptabilisés –, d'une grande arrogance, il avait réussi l'exploit de détourner plusieurs mois de salaires d'un collègue.
Il puisa dans la caisse dès le premier jour. En découvrant son absence d'intégrité et un comportement indigne à tous égards, j'ai tout mis en œuvre pour décrocher une mutation à Paris. Paul fut licencié après un rapport d'enquête très accablant.
Dès 1987, j'affrontai un nouveau genre d'escroquerie auprès d'Igor*, champion des contrats cavaliers qui compensaient le manque à gagner d'un prélèvement de 60% de son salaire que le gouvernement russe imposait à ses ressortissants.
Sexiste, il fit preuve d'une grande intolérance pendant mes grossesses, au point d'envisager la possibilité de me priver des congés de maternité.
Des coups de fil constants, de jour comme de nuit
À partir de juillet 1994, j'assistais un Philippin devenu haut fonctionnaire sans aucun diplôme, d'un sans-gêne sans limite, qui m'infligeait des appels à mon domicile à des heures indues, même les weekends.
Harceleur, escroc sans scrupules qui concoctait des contrats de complaisance pour rémunérer les faveurs de ses conquêtes, un rapport d'audit révélant un détournement de 50.000 dollars pour financer les études de son fils exacerba un caractère déjà instable.
Je l'ai quitté sans cérémonie, pour fuir son sexisme et une violence quotidienne.
Mensonges et discrimination raciale
La preuve des pratiques discriminatoires et sexistes au sein du CEPAS me fut fournie en 2002. Le comité de sélection des candidats où siégeaient des représentants syndicaux a découvert que pour m'empêcher d'accéder au poste d'assistante d'un DG indien, poste historiquement réservée aux ressortissantes britanniques, un rapport d'évaluation me qualifiait d'hispanophone sans aucune maîtrise du français ou de l'anglais, handicapée par un statut de mère de famille incompatible avec les horaires d'un bureau directorial !
En 2005, rien ne changea. Alerté par un groupe d'ambassadeurs latino-américains qui réclamaient l'annulation de la nomination d'un top manager américain réputé raciste, le PDG du CEPAS, resta inflexible, persuadé que l'individu était un proche du président Bush.
Trevor* avait pourtant à son actif plusieurs condamnations pour discrimination raciale, harcèlement moral et représailles exercés sur des hauts cadres issus des minorités : latinos, juifs, afro-américains ou asiatiques, limogés des postes-clés d'une université – créée pour eux –, qu'il présidait en Californie.
À Paris, il utilisa la même technique : un plan de réforme révolutionnaire !
Mars 2007. Convaincu d'escroquerie par un rapport de la Cour des Comptes, Trevor* quitta Paris dans la honte, mais son butin dépassait les 20 millions d'euros.
La campagne médiatique fut sans précédent, mais le nettoyage ethnique pratiqué sur une quinzaine d'agents, parmi eux de très hauts fonctionnaires qui avaient en commun la couleur foncée de la peau, passa inaperçue.
Mutée pour avoir dénoncé deux tentatives de fraude
Je fus sa première victime, pour avoir pointé deux tentatives de fraude sur ses frais de mission entre janvier et avril 2005. En représailles, dès son arrivée en poste fin juin 2005, prétextant un besoin de constituer sa propre équipe pour mettre en œuvre une réforme bidon, il refusa qu'une assistante noire soit sa plus proche collaboratrice, et exigea ma mutation immédiate pour installer un Américain nativesans sélection compétitive, avec un salaire deux fois supérieur.
La complaisance du CEPAS fut édifiante. Ma mutation était irrégulière, Trevor* récidivait un acte raciste, son passé scabreux était du domaine publique, mais la DRH acquiesça avec empressement à son rejet de ma personne sans avoir identifié un autre lieu d'affectation.
Privée de bureau avec confiscation et appropriation de toutes mes archives électroniques, le PDG ignora ma contestation d'une mutation faite dans la violence.
Après ma plainte, appels anonymes et harcèlement insidieux
La discrimination raciale, la violation du droit, l'intimidation et le harcèlement moral étaient incontestables, mais le CEPAS protégea ostensiblement l'ami supposé de Bush et déploya un impressionnant dispositif de répression pour empêcher "un menu fretin" [1] de saisir les organes de recours.
En portant plainte, j'étais loin d'imaginer que je pénétrais au cœur d'un système gangrené par des pratiques honteuses – qui devaient donc rester occultées –, vu qu'ils impliquaient l'ensemble du top management qui avait aidé ouvertement un homme peu recommandable à tricher et à discriminer.
Le harcèlement fut insidieux et permanent. Ma carrière fut brisée, sans augmentation de salaire ni régularisation administrative par la signature d'un nouveau contrat pendant huit ans, avec une insécurité palpable et une menace qui m'exposait au licenciement au moindre faux pas.
Je fus accablée de tâches au-dessus de mon grade, humiliée, traitée avec mépris – on me disait que j'étais chanceuse d'avoir encore un salaire !
Étroitement surveillée, je fus l'objet d'appels anonymes à mon domicile, j'ai même reçu des menaces de mort.
Le racisme et le harcèlement sont institutionnalisés
Cela m'a interpellée qu'une agence onusienne qui œuvre pour l'égalité, l'équité, la paix entre les peuples, le respect de la dignité humaine et de la diversité, qui dispose d'un service dédié à la lutte contre la xénophobie et toutes les formes de discrimination, accepte l'inadmissible et l'intolérable.
Ma longue lutte pour la réhabilitation dans mes droits fondamentaux humains m'a prouvé que la discrimination raciale et le harcèlement moral étaient des pratiques institutionnalisées à tous les niveaux du CEPAS.
J'ai fait face à des actes d'hostilité inimaginables, chaque top manager ayant reçu l'ordre de saboter le processus de mon recours. Les rares collègues qui acceptaient de m'aider étaient harcelés à leur tour, y compris les médiateurs et le médecin du travail qui furent sèchement rappelés à l'ordre.
"Ferme ta bouche !", le livre-témoignage que j'ai publié et qui reprend tous ces éléments, est donc le cri d'une indignation contre ces agents indignes et peu scrupuleux, sans aucun idéal noble, qui n'ont pas leur place dans une organisation internationale.
L'acharnement dont je fus l'objet et le bannissement qui m'a isolée au milieu d'un millier de collègues m'ont incitée à faire le bilan d'une très longue carrière onusienne. Mon parcours fut une succession de rencontres avec des escrocs, des harceleurs, des sexistes et des racistes.
50% des top managers étaient des escrocs
De 1974 à 2010, sur les 15 top managers que j'ai assistés, seuls sept d'entre eux étaient des agents intègres. Des huit cas d'escroquerie et de harcèlement constatés, deux furent sanctionnés au Zaïre. À Paris, où les sommes dérobées étaient pourtant de loin faramineuses, aucun agent ne fut inquiété.
Doté d'un pouvoir considérable, le top manager onusien dispose d'un budget vertigineux qui attise la convoitise, et les escrocs profitent des failles d'un système de contrôle peu rigoureux, facilement contournable.
L'agent qui ose dénoncer l'escroquerie ou l'indignité de son patron s'expose donc aux représailles d'un individu super puissant, capable de briser une carrière, prêt à tout pour se maintenir dans une fonction prestigieuse mais peu durable, dont il veut tirer un maximum de profits avant la fin de son mandat.
L'ONU a son propre tribunal
Les hauts fonctionnaires onusiens jouissent d'une immunité diplomatique qui les préserve des poursuites judiciaires, et les victimes d'abus sont démunies, en l'absence d'un système de recours équitable.
L'ONU a son propre tribunal, mais sa saisine n'est possible qu'après épuisement des recours internes dont dispose l'employeur. Les agences retardent donc le processus au maximum, ce qui s'avère dissuasif pour les victimes, car la constitution d'un dossier prend plusieurs années.
De plus, ces agences s'appuient sur une équipe de juristes et puisent dans un budget provenant des contributions versées par les États-membres, nos pays, là où les victimes d'abus peinent à s'offrir une assistance juridique.
Les femmes sont les plus touchées
Il faut savoir que les rapports d'investigation sont truqués pour discréditer un agent. J'en ai fait l'expérience. Le système de défense n'a donc rien d'égalitaire, surtout lorsque l'on sait que ce tribunal ne condamne jamais une agence de l'ONU pour discrimination raciale, ce qui serait dévastateur pour l'image d'une institution internationale qui œuvre principalement pour la paix entre les peuples et l'égalité des individus.
Peu représentées aux postes de commandement, majoritaires dans des fonctions subalternes, les femmes sont les plus touchées par la discrimination, mais elles ne sont pas les seules, car un subtil système d'écrémage exclut d'office les nationalités indésirables des processus de recrutement ou d'avancement.
Les candidatures sont inutiles, tout est joué d'avance
L'affichage d'un poste vacant n'est donc qu'un leurre, car après les entretiens d'embauche, un panel d'interview établit l'évaluation qui prouvera, en cas d'audit, l'existence d'une sélection compétitive.
Dans la pratique, l'élu est choisi bien avant l'appel à candidatures. En tant que femme noire, je peux affirmer que j'ai travaillé dix fois plus que mes collègues pour une reconnaissance moindre, mais l'excellence de mes compétences et un comportement exemplaire à toute épreuve furent le socle qui ne pouvait pas m'être dénié, qui m'a permis de résister.
[1] Terme péjoratif inventé par les tops managers du CEPAS pour désigner les agents de grade peu élevé
*Tous les noms ont été changés.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1187385-sexisme-harcelement-moral-discrimination-mon-parcours-du-combattant-au-sein-de-l-onu.html
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Posted by: Samuel Desire <sam4des@yahoo.com>
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